Plonger dans le thème de la chanson française, c’est l’assurance de n’en jamais sortir.
Après Garou, je ne peux donc résister à la tentation de vous parler du dernier album perpétré par Florent Pagny. Vous savez, celui où il chante Brel.
Non ce n’est pas une blague.
Même que ça s'appelle "Pagny chante Brel".
On pensait être à l’abri.
Et en fait, non.
Mais alors pas du tout.
11 titres. 11 tortures fines. 11 moyen de saigner des tympans, de perdre ses oreilles, de pleurer de rage, de baver d’horreur, de crier au blasphème ou de rougir de honte. 11 reprises à virer sa politique cuti, pour se mettre à rêver de vol charter ramenant Pagny droit vers sa Patagonie.
Vous trouvez ce virage à droite un peu disproportionné ? C’est que vous n’avez pas idée du mal commis. Brel est un mythe, un génie de la scène, un immense, un agitateur d’âme, un faiseur de silence. Et qui se frotte à la reprise, souvent s’y brise.
Bien sûr, libre à Pagny de s’attaquer au monstre sacré, de se rêver casseur d’icône et élève dépassant le maître. A l’homme qui a du cœur, rien n’est –parait-il- impossible. D'ailleurs, si Pagny avait compris son texte au lieu de seulement l’apprendre, son album n’aurait peut-être pas tourné au supplice.
Le cœur du problème, c’est que Pagny transforme ses reprises de Brel en prouesses techniques, lieux d’éclats de voix et de trémolos inutiles. Tu y cherches laborieusement la moindre trace d’émotion ou d’empathie, et vite tu sens que ce sera inutile. Alors longuement, pour t’occuper, tu te demandes qui de Pagny ou d'une huître saura t’émouvoir en premier.
Le dernier titre de l’album qui clôt ce feu d’artifice tiré à la gloire de l’horreur mélodique, a tout de la gerbe finale (sans jeu de mot, c’est promis).
Il s’agit des La chanson vieux amants.
Repris sur une orchestration Bossa-Nova (il a osé, le bougre).
Tu as beau t’y être préparé 10 titres durant, quand sa voix chante «Finalement, finalement, il nous fallut bien du talent, pour être vieux sans être adultes», cette phrase dont la beauté savait te faire venir les larmes, t’apparaît soudain comme ingrate et inutile.
Et là, hébété, tu te rends compte que Pagny, c’est le mec qui sait te faire le coup du lapin avec de la poésie amie.