L’intérim en France est une machine à vendre du rêve. Il se présente comme le moyen de réaliser toutes ses ambitions professionnelles, de faire du travail une perpétuelle fête et de se réveiller chaque matin avec la méga-pêche. Pour résumer, il serait tout l’inverse de la précarité souvent associée aux postes en CDD.
A mille lieux des agences belges se targuant de savoir "trouver une parfaite doublure", les entreprises d’intérim françaises tentent de séduire l’aspirant employé (plus que l’employeur) en jouant la carte de l’humain à tout crin.
Modèle du genre, Adecco fait vibrer la corde sensible du chômeur en dégainant deux jokers (récupérés six pieds sous terre) : le Mahatma Gandhi et Coluche.
Avant toute chose, je suis mal à l’aise avec l’idée d’utiliser commercialement l’image de personnes qui ne peuvent plus se prononcer. Un peu comme si l’on faisait dire à Bukowski ou Verlaine "Pour mes gueules de bois, je prends toujours des gélules d’huile de foie". Même en supposant que la pub Adecco soit pleine de bonnes intentions -et vierge du cynisme qu’on prête d’ordinaire au monde de la pub- il demeure gênant de muer le destin d’hommes en banales images au service des intérêts d’une firme.
Evidemment, l’opération est diablement tentante et efficace. Car nul doute que l’individu qu’Adecco cherche à recruter préfère s’identifier à de valeureux grands hommes qu’à ses congénères dont les derniers faits d’arme consistent à avoir supporté la basse mollesse d’une fonctionnaire d’ANPE.
On comprend aussi la tentation publicitaire de mettre dans le même séduisant panier le talent de ces deux individus, leur attachement aux valeurs humaines ET leurs changements d’activité professionnelle. Et de nous laisser ainsi penser que l’intérim d’Adecco va, de sa baguette magique, nous forger les mêmes destins d’exception et réveiller soudain en nous l’humanisme larvé et le noble amour de son prochain.
Sans vouloir casser l’ambiance : tout ceci manque de réalisme.
Et même à ceux qui croient que nous sommes tous tissés dans l’étoffe de l’héroïsme, je me permets d’opposer un peu de pragmatisme en rappelant simplement qu’on ne trouve pas de postes d’avocat ou de philosophe en agence d’intérim.
Et enfin, pour finir, j’invite Adecco à un peu de décence.
Etre résistant ou apôtre de la non-violence n’est pas une vocation professionnelle, et encore moins un funky domaine de compétence. Je suis chaque fois plus navrée d’assister à la banalisation et la folklorisation de la résistance, et de voir avec quelle facilité on utilise aujourd’hui son impact émotionnel comme un motif publicitaire.
Allez, avant d’aller bosser, tu me reliras une fois ta lettre de Guy Môquet.