Imagine-t-on Vila-Matas accompagner ses clins d’oeils littéraires de ;-) ,Céline clore ses tirades d’un smiley rageur :-(, ou Cendrars taper de sa main unique un «mdr»? Obsédée de littérature et du pouvoir qu’ont les mots de dire seuls le monde, je n’ai longtemps compris ni le sens, ni l’intérêt, de l’attribut smiley, solution de facilité vouée à dénaturer le langage. Paresse intellectuelle de prosateurs sans exigence, je maudissais de toutes mes forces le bonhomme jaune et ses compères acronymes.
Et puis un jour, tout a dérapé. J’ai écrit sur MSN mon premier lol, un peu honteusement, convaincue que ces 3 lettres allaient porter un coup fatal au bon déroulement de la discussion en cours. En retour, on m’a répondu looooool. J’ai alors osé un smiley, un autre et encore un suivant.
Le changement de registre s’est opéré facilement, et l’écriture a naturellement glissé vers un ton plus oral. Les smileys sont vite devenus de nouveaux signes de ponctuation, levant l’ambiguïté, épargnant le détail, reflets écrits et évidents d’un visage amusé, triste ou complice invisible à l’écran.
Aujourd’hui, je suis droguée et ne résiste plus à la tentation d’en glisser partout. Même dans les mails que j’adresse à mes clients. «C’est normal, ils sont tous comme ça ces jeunes qui s’occupent d’Internet» déploreront-ils sans doute en découvrant mes smileys-pizzas entre deux recommandations stratégiques.
La prochaine étape est l’écriture phonétique. Aujourd’hui contemptrice intransigeante, combien de temps me reste-t-il encore avant d’en devenir l’ardente zélatrice ?