Je dois te dire une chose. Je te préviens que ce ne sera pas humble.
J’ai un don pour le bricolage et une compréhension quasi-mystique des fils dénudés, des chevilles à plâtre, des mèches de 6, des vis de 4, des dominos, des prises de terre, des papiers de verre, des enduits, et des tournevis cruciformes. Ma mère remercie souvent le Seigneur d’avoir enfanté dans la douleur un tel génie bricoleur.
Et m’appelle quelquefois à la rescousse.
Ainsi, hier soir, me voilà debout sur son canapé en train d’insulter une applique murale. J’ai bien envie de te dire ici ce que je pense des douilles fabriquées en Asie, mais ce serait nous éloigner trop du sujet.
En bref, face à la résistance et aux disfonctionnements pernicieux de la matière, j’avais atteint un tel degré d’exaspération, que seul un documentaire animalier aurait pu me calmer.
Malheureusement, les chaînes hertziennes ont depuis longtemps abandonné le genre éthologique en prime-time. (C’est d’ailleurs pour cette raison que je n’ai plus de télé depuis 10 ans). En revanche, M6 proposait… L’amour est dans le pré.
"Une histoire d’amour et de ferme" me suis-je prise à rêver en lisant le titre. Je voyais déjà la chemise à carreau de Heath Ledger se dessiner sur fond de Brokeback Mountain.
En fait, non. Ce n’est pas ça.
Pas du tout, même.
Je te fais le pitch : des fermiers célibataires rencontrent des citadines et se maquent avec elle en direct. La rencontre entre la ratte des villes et le rat des champs se passe au poil. La voix off de l’émission nous abreuve du mot Amour pendant que l’ingé lumière braque son spot cru sur le nouveau couple qui s’échange de chastes baisers à côté du poêle à bois.
"Il y a du love. Il y a de la joie. Alors, quel est ton problème Alexandra?" te dis-tu.
Je vais te dire le problème. Le problème n’est pas l’impudeur. Le problème est le cynisme immonde d’une production télévisuelle qui s’attache à montrer du pathétique et du misérable, en voulant faire croire à ses bonnes intentions.
A Marrakech un plan sur une des participantes, gaulée comme une baleine blanche enceinte de jumeaux, s’enchaîne avec celui d’une naïade sublime. Un des fermiers de 37 ans, rongé d’angoisses, a toujours besoin du consentement de sa mère pour embrasser une fille. Une famille entière attend avec une fébrilité inquiète "l’heure d’ouvrir les bouteilles de l’apéro", et ce n’est que le matin.
D’accord.
Rire de la misère d’autrui est un registre comique qui peut être brillant, je ne compte pas le condamner. Mais rire de la misère d’autrui avec une telle mauvaise foi, sous couvert d’empathie et de sincérité généreuse, voilà l’œuvre d’âmes tristes. Le travail de petits vieillards.
Et pendant que M6 s’assèche dans sa ouate de mépris élitaire, je retourne à mes ampoules.
Si tu as besoin de moi pour de menus travaux, tu sais où me joindre.