On a tous des adresses qu’on ne révélerait pour rien au monde. Des lieux miraculés de la foule et magnifiques qu’on garde jalousement pour soi. Là un restaurant, ici un jardin, ailleurs un cinéma.
Un jour pourtant surviendra un inévitable problème. Si tu ne parles pas de tes endroits tenus secrets, et que tu continues à en jouir à l’écart du monde, la loi libérale et la maladie rentable jetteront sur eux leur dévolu, et les condamneront alors à la fermeture et à la disparition (où à la réincarnation en Pizza Pino).
Avant que le mal n’arrive, tu t’interroges et te dis :
- Si aucune promotion de ce lieu n’est faite, il appartiendra bientôt à ma mémoire et à la poussière, et m’emportera certainement avec lui dans sa chute. Lui sera chez les morts, moi chez les nostalgiques, chacun de nous dans deux royaumes éteints finalement pas si loin l’un de l’autre. Et c’est avec ce genre d’échecs qu’on se retrouve avec des Eddy Mitchel chevrotant des «c’était la dernière séaaannnnce!» dans les baffles d’une station service.
- Si j’en parle, ces lieux vides seront bientôt envahis. Je partagerai mon espace vital avec des gens dont je n’aime ni les traits ni la voix, et qui se croiront chez eux tout aussi légitimement que moi. Peut-être même qu’un jour le tenancier me laissera à la porte par manque de places, sous le regard narquois de ses gueux de clients qui me devront tout.
Ok, le deuxième scénario est catastrophique (et peut être un brin paranoïaque), mais à y réfléchir, le premier est bien pire. C’est pourquoi je vais aujourd’hui vous parler du Cinéma Grand Action.
Dans le 5eme arrondissement parisien, 5 rue des Ecoles. Un cinéma d’art et d’essai avec des sièges rouges énormes et moelleux, une dame blonde avec un sourire qui dit sa joie de te revoir, des projectionnistes visibles et des pellicules qui crépitent.
Et en ce moment, ils rejouent Le Guépard, ce film de Visconti, Palme d’Or en 1963. Fin d’un monde, fin de race, aristocratie décadente mortellement condamnée par l’essor d’une bourgeoisie opportuniste, Le Guépard reconstruit avec une précision maniaque la Sicile de 1860 et l’univers qu’avait décrit Lampedusa dans son ouvrage.
Claudia Cardinale est superbe bien que ses minauderies lui vaudraient deux gifles bien pesées. Burt Lancaster est «mieux sapé et plus classe, tu meurs sur le coup». Alain Delon est Alain Delon : beau comme un dieu, avec un sourire si blanc, si limé et si visible que toute l’attention que tu devrais accorder à son personnage de Tancrède est détournée vers sa mâchoire.
A l’arrivée, un film mythique à la fois grandiose et intensément soporifique.
Pour t’inciter à découvrir le Cinéma Grand Action, je te propose un défi. Le film dure 3h25. Je me suis endormie au bout de 3h20, sur la dernière ligne droite. Feras-tu mieux que moi ?
Ma Sauterelle,
Je t'invite donc à voir ou à revoir "Lawrence d'Arabie", moins long (mais il fait quand même bien ses 2h30)... plus homérique ...
Moins soporifique ? ;-)
J'ai envie de te dire : oui... Non ?
Un Canal de Suez de bises claquant sur tes joues
Une Idée blonde comme Peter O'
Rédigé par : Gaëlle | 02 juin 2008 à 20:35