Certains titres de presse n’ont pas de complexes à sortir de leur sacro-sainte ligne éditoriale pour filer bien loin des terres où leurs lecteurs les attendent. Ainsi, faisant fi d’une demi-émeute au sein de sa rédaction, Libération invitait récemment Carla Bruni, "épidermiquement de gauche", à commenter l’actualité nationale et mondiale d’un ton lamentablement policé à côté duquel Oui-Oui passerait pour un membre des Brigades Rouges.
"A quand Michel Sardou, redac-chef de Libé?"
lançaient en retour les taquins Inrockuptibles, magazine quant à lui jamais suspect de dévier de sa route éditoriale défrichée à coups d’exclusivités indés et de trésors culturels confidentiels.
Jamais un écart, sauf en présence du cas Julien Doré, face auquel les Inrocks se trouvent
assez séduits pour lui accorder une couverture, mais évidemment bien embêtés de céder aux charmes d’un énergumène accouché par la télé mainstream. Pour compenser cette faute de goût face à son orthodoxie musicale bien-pensante, le journal s’adresse à Julien Doré dans une interview où chaque mot sue le complexe et la culpabilité.
"Est ce que tu étais le genre d'ados un peu schizo?","As tu le sentiment d'être un imposteur?", "As tu le sentiment de porter un masque?", "Tu as l'impression de t'être longtemps laissé porter par le courant?" toutes ces questions semblent tresser un réquisitoire grotesque qui voudrait faire de Doré le témoin mystificateur de son propre succès.
Pourtant, ce qui apparaît comme très insultant n’est finalement que puéril. Dans cet article, il y a peu de différence entre les Inrocks et l’enfant maladroit qui, honteux de ses sentiments amoureux, n’arrête pas de traiter de boudin ou de rouer de coup la petite fille qu’il convoite.
Attitude toute enfantine à coup sûr, car lorsqu’on se débarrasse de nos œillères greffées par méfiance à l’égard de la culture-confiture télévisuelle, on peut voir clairement que Julien Doré n’est frappé d’aucun vice. Qu’au contraire, sa voix sensible, ses textes étranges et vaguement sinistres, ses surprises de mots et un certain dépouillement instrumental sont tout impressionnants. On parcourt Ersatz comme on égrènerait un rosaire sombre, qui commencerait par une messe funèbre méditerranéenne et finirait par un aveu d’ivrogne.
Une expérience musicale qui devrait savoir fédérer mille univers sans que cela ne soit objet de honte.