L'évènement de la dernière semaine, s'il ne fallait en retenir qu'un, est l'aveu d'André Agassi à l'occasion de la parution de sa biographie.
Ne me dis pas que tu n'étais pas au courant : il portait une perruque.
Si.
Je sais.
Le tennisman l'a admis : sa touffe était artificielle lorsqu'il était une star des courts. Que conclure, que penser, au delà de l'opportunité médiatique et éditoriale d'une telle révélation ?
1. L'obsession, clé du succès
Quand Agassi entrait sur un court dans son habit de lumière, on savait que son adversaire n'avait plus qu'à faire ses prières.
Cette capacité inouïe à toujours l'emporter, on l'imputait naturellement à l'entraînement, la force, la hargne, le talent. Aujourd'hui, il est nécessaire de réviser cette théorie et comprendre que si André gagnait, c'était d'abord grâce à ses perruques et calvitie.
Pour André Agassi, l'enjeu unique, la seule chose qui importait, le seul vrai défi, était de bien faire tenir sa moumoute sur son crâne. Une fois ce maintien assuré, André était capable de tout accomplir, car rien d'autre ne le paralysait. Rien d'autre n'aurait pu l'inquiéter.
Gagner : pas de problème.
Devenir numéro un mondial : easy.
Manger une grosse chips : tranquille.
En revanche, que la perruque vacille, et c'est l'ensemble du monde qui s'effondrait.
A Roland Garros en 1990, au lieu de se concentrer sur la finale qu'il est entrain de mener contre Andres Gomez, André pense à sa toison : elle glisse, elle dérape, c'est l'enfer sur terre. Obsédé par cette faillite possible (le crâne soudainement nu et obscène devant les 15 000 personnes du court central et les millions de téléspectateurs, le grand fou-rire général subséquent), il n'ose plus bouger, se dandine mollement et perd le match.
A la fin du set décisif, Nelson Montfort et sa grosse touffe authentiquement arrogante viennent le provoquer. Nelson fonce sur le court, le cameraman qui le suit a le cadre totalement obturé par sa tignasse frisée. Dans un coin de l'écran, il réussit néanmoins à faire apparaître André et sa coupe un peu oblique.
Alors, Nelson regarde le joueur et assure dans son ineffable anglais "Yes-heu, we are-heu so sorry for you-heu, André". André aimerait sans doute tondre la permanente de l'insolent ou lui coller une beigne, mais quitte le court dignement. Sous les hourras d'un public qui l'adore.
2. L'impossible mimétisme
On adorait Agassi. Agassi était dingue. Ses tenues aussi. Sa coupe encore plus. Ni hippie, ni black metal, André avait un style capillaire à lui. Une patte. Sous le regard effaré de leurs parents, des millions d'enfants se sont mis à faire pousser leurs cheveux à son image. S'essayant à la nuque longue, à la frange, au balayage.
Et pourtant, malgré tous leurs essais, bien qu'ils y mettent tout leur coeur, ça ne fonctionnait jamais. Ils n'obtenaient jamais ce mouvement capillaire affriolant, cet épi global, cette lumière...Ils voulaient égaler André, mais ne ressemblaient qu'à David Ginola.
A ce moment là, on aurait dû se douter que quelque chose clochait, qu'il y avait dans cette coupe une dimension irreproductible, inimitable, NON NATURELLE. On aurait dû comprendre que ce bandeau en mousse cachait quelque chose. On aurait dû le savoir, mais personne ne voulait regarder la réalité en face. Chacun était prêt à tout pour sauver l'espoir d'un monde sans violence et sans chutes de cheveux.
3. L'âge adulte
Mais se doutait-on du mal que cet aveuglement nous ferait un jour ? André qui nous avait permis de survivre à la révélation de la Petite Souris (désolé, fiston, c'était du bluff), du Père Noël (désolé, fiston, c'était du bluff) et de la naissance par voie végétale (désolé, fiston, c'était du bluff). André qui nous avait accompagnés dans ce passage douloureux à l'âge adulte, qui nous avait permis de protester, alors qu'on essuyait avec morgue la morve de notre nez : "Même pas mal, parce que les cheveux d'André Agassi, ils existent eux!".
On pensait pouvoir s'appuyer toujours sur cette vérité, immuable et solide comme un roc. Les cheveux d'André, éternels, résisteraient à tout et ne nous trahiraient jamais.
Et voilà pourtant où nous sommes aujourd'hui. Entrain de penser l'impensable, de nommer l'innommable..
Peut-on encore croire en quelque chose après ça ?
Que va t'on nous annoncer demain ? Que Pete Sampras a 190 de QI ? Que Michael Chang était Sénégalais ?
Aujourd'hui, chers amis, mon coeur saigne autant que ce jour où j'ai compris que je n'aurais jamais les seins de Lolo Ferrari, et qu'en regardant vers le sol, je ne verrai toujours que mes pieds.
4. L'espoir
Et pourtant, puisqu'en tout mal il existe un bien, ne faut il pas voir en cette révélation -aussi cruelle soit elle- un message d'espérance ?
Toi qui observes des golfes profonds se creuser sur ton crâne pas forcément harmonieux (ne maudis pas ta naissance aux forceps, où serais tu sans eux actuellement?).
Toi qui crains que ta virilité soit perdue .
Toi qui compenses cette diminution en bannissant le bodyshaving et en exhibant ton intacte toison pubienne dès que possible (impudeur hélas redoutable pour ta vie sociale).
Souviens toi, qu'aujourd'hui, André Agassi est marié à Steffi Graff et qu'ils ont ensemble deux enfants. Si l'histoire ne dit pas combien de temps il a réussi à garder sa perruque au lit avant qu'elle ne glisse sur la table de nuit, la morale définitive est que "si la perruque ne tient pas, le couple oui" (Ramo).
Et ça, c'est beau.
Chère Alexandra,
Voilà un texte, un petit chef d'oeuvre d'écriture qui ne peut aller qu'au delà de mes éloges. J'ai éprouvé de l'intérêt, du plaisir; ce texte drôle fait noblement sourire, ce qui n'est finalement pas si fréquent. A quand votre prochain roman (?), car, je crois, vous lisez beaucoup, ce qui est, soit dit en passant, une autre singularité qui est tout à votre avantage. Là, comptez sur moi, je dérogerai à mes sacro saintes règles méthodologiques (où la muse de l'Histoire ,Clio, supplante la muse des Belles Lettres), et je vous lirai !
Pour en revenir au tennis et à la perruque d'Agassi, eh bien oui, c'était l'époque où je fréquentai encore le petit écran avec Lendl, Mc Enroe, Connors, Chesnokov (et sa légendaire raquette en bois). Quant à vous, Alexandra, permettez moi de vous dire que vous n'avez pas à déplorer les mensurations de votre poitrine. Ce qu'un homme (un vrai) voit avant toute chose chez une femme, c'est sa beauté intérieure; le reste peut venir après mais demeure, je pense, accessoire.
Amicalement,
Pierre.
Rédigé par : Jourdan | 08 novembre 2009 à 18:57