Ca commence en 1983, quand un couple confie à une femme célibataire portugaise le soin de ses deux enfants.
Ca s'arrête 5 ans plus tard à la porte d'un immeuble de Saint Germain, avec des signes de mains derrière les vitres d'une voiture qui s'en va.
Ca persiste longtemps avec des mots inventés, entre le français et le portugais, des mots comme "désarmaçée" pour indiquer une chambre mal rangée.
Et puis ça meurt.
Et ça revient il y a dix ans, avec l'âme en arrêt sur des mots entendus au hasard. Des mots d'Antonio Lobo Antunes, un écrivain portugais qui ne se montre jamais, écrit, déjeune souvent avec ses trois mêmes amis, et écrit.
Antonio Lobo Antunes consigne des Chroniques, des textes secs et courts, retranscriptions de théâtres intérieurs, de quotidiens menteurs. Par compassion, par pitié ou vérité - les intentions sont opaques mais - sous sa plume, le bègue et la laide sont aimés, le déchu acclamé.
Ca ne dure jamais longtemps.
Il désapprouve ses Chroniques, parce qu'elles viennent trop vite.
Ca me rend triste.
Il écrit aussi des romans, des monologues ivres, polyphonies redondantes, tarées et lancinantes. Des textes âpres et sensuels dont on ne sort jamais, qui blessent et hantent encore longtemps après.
Assassine doucement les traducteurs. Se souvient de son père, avec mesure, avec pudeur. N'a honte de rien, refuse de parler de tout. Sourit soudain. Ne garde de ses livres que ce qu'il y a autour. Compare les médecins aux écrivains, des petits misérables qui ne savent jacter qu'à propos de leur métier. Evoque alors un "collègue" qui lui disait, lorsque des journalistes les attendaient pour leur parler "Fuyons petit, écrire est comme faire l'amour. Ca doit se faire en cachette et sans en parler après". Semble finalement découvrir que les livres sont la peau qu'il a le plus souvent touchée. A la même diction que ses textes. Impose le silence. Se tait.
Et finit en racontant une histoire :
"Dickens a écrit quelque chose. Sa mère est très malade, elle va mourir. Il va la voir, entre dans sa chambre, la trouve allongée et souffrante, et lui dit :
"- Avez-vous mal ?
Et sa mère répond :
- Je sens une douleur dans la pièce. Mais je ne sais pas si elle nous appartient"."
Et il s'arrête ainsi.
Mon coeur aussi.
La plupart des oeuvres d'Antonio Lobo Antunes sont publiées chez Christian Bourgois.
Alexandra,
Merci pour vos égards; vous savez, comme tout homme, le temps dans ma vie active m'est compté, et celui que je peux consacrer à la littérature est essentiellement tourné vers les auteurs classiques gréco-romains; vous pourrez ainsi peut être saisir une facette de ma personnalité; ayant largement fréquenté Tite Live, Suétone, Plutarque ... j'aime me représenter, pour ainsi dire visuellement, les situations concrètes : la Rome Républicaine, ses guerres civiles, ses guerres dans l'Orient lointain ...; somme toute, je crois que ce qui distinguera le bon auteur, c'est non pas la "cohérence" de la trame narrative, car à ce prix là tout le monde peut écrire des romans de gare, mais sa perspicacité à décrire des situations concrètes, vécues et/ou relatées. Ne doit-on donc pas, comme tout guerrier scythe, décocher une bonne flèche de parthe au bon endroit pour saisir l'attention du lecteur ? C'est ce que je pense en tout cas !
Bien à vous,
Pierre.
Rédigé par : Jourdan | 12 octobre 2009 à 18:47