En allant au ciné voir le film Thirst de Park Chan-wook, je m'étais préparée à une bonne dose de gore, et par prédisposition, mon coeur était bien accroché. Pourtant rien n'aurait pu m'entrainer suffisamment pour affronter le vrai monument d'horreur qui attendait, tapi dans l'obscurité de la salle : la nouvelle publicité Evian diffusée pendant les bandes annonces.
(Il parait qu'elle n'est pas de première fraîcheur. Pardonnez donc cette entorse à la loi de péremption du "buzz": je n'ai pas de télévision).
6 mots seulement : Franchement, à qui profite le crime ?
La surenchère :
Il y a quelques mois, je vous faisais part de ma consternation face à Bob Sinclar, conjuguant avec une innocence effarante semi-nudité pas franchement asexuée (fais un choix Bobby : c'est les ailes d'anges OU les abdos à l'huile) et représentation systématique des enfants pour chanter ses hymnes. Le truc ayant déjà fait recette, on déplore que Guetta n'ait pu l'exploiter pour son Sexy Bitch sur lequel une chorale de gnomes aurait été du plus bel effet.
Le public redemande de la confusion des âges, les créatifs suivent. Mais où cela va t'il s'arrêter?
J'ai peur.
Le gros délire :
A voir les commentaires afférents sur Dailymotion, il y a de la joie. Ca va de "le mec qui a créé ça est un génie" (merci, je cherchais justement le mot) à "trop foooooorts ces bébés" par Gloubi112. Il faut que je te dise Gloubi112 : ces bébés ne feront jamais ça dans la vraie vie.
D'ailleurs, pourquoi imposer sans cesse aux enfants la violence de leur attribuer des comportements d'adultes ? Pourquoi ne peut on se contenter de leur statut suffisant d'êtres quasi-végétatifs ?
On les déguise en lord anglais ou en libellule, on les fait danser avec le chien, on envoie le tout à Video Gag, et c'est le gros délire collectif. On s'obstine à leur prêter des réflexions de physiciens, et des coups de génie qu'ils n'auront pour la plupart jamais, même majeurs. Si par hasard le nourrisson déplie son majeur, on appelle Papie et Mamie pour qu'ils soient fiers du premier doigt d'honneur de leur petit-rejeton.
Cette obstination d'adultes à muer leurs enfants en jouets ou à leur imaginer des attributs comportementaux d'un autre âge n'est pas sans rappeler les déguisements d'animaux domestiques... et l'insondable tristesse du caniche sous sa cape de Superman.
L'effet spécial :
Evidemment, le thème n'est pas nouveau. Et comment pourrait on reprocher à une génération biberonnée à Allo Maman Ici Bébé d'avoir sombré dans la perversion?
Toutefois, dans ce monument du genre, la voix off et la caméra subjective se contentaient de nourrir l'imaginaire de la représentation. En greffant aujourd'hui des têtes de bébés vivants sur des corps en images de synthèse, Evian impose une esthétique aussi monstrueuse et irréaliste qu'une image de Karl Lagerfeld après son régime.
Le trip ghetto :
On se permettra de souligner que le choix d'un traitement hip-hop a permis de faire figurer à l'image des personnages d'habitude délaissés par les écrans publicitaires: des Noirs et même un Asiatique ! Faut-il y voir une sorte d'affirmative action ou un désir de crédibilité dans une mise en scène de la culture "street" ? Grand absent regrettable : le nourrisson sud-américain avec un tatouage facial "Mara dieciocho".
L'identification :
"Observons l'effet d'Evian sur votre organisme" en introduction, "Evian, Vivons Jeune" en conclusion. Si je comprends bien, ces monstrueux bébés travestis sont en fait une métaphore de nos corps adultes abreuvés d'eau de source ?
Ouais, bon, là, non. Ce n'est pas possible. Franchement, ça me donne tellement envie de mourir que je n'ai même pas la force d'en dire plus.
Ou juste un mot peut être: à l'heure où les tenants de la morale persistent à condamner l'exposition « Présumés Innocents », cette publicité est peut être une nouvelle façon d'interroger l'enfance et l'obscénité.