Ah le Guide du Routard... sa fière équipe souriante en quatrième de couverture, resplendissante d'idéaux de paix et d'amour...
Vous vous demandez encore pourquoi partir avec ce guide plutôt qu'avec un autre?
Voyons... restons sérieux.
1. Tous ensemble-tous ensemble-wé-wé !
Dans sa vie parisienne, il y a bien longtemps que le Routard des Origines ne vit plus en communauté et ne partage plus son sexe avec ses colocataires. Habité par la nostalgie, il épargne patiemment pour rééditer en vacances les joies collectives de son passé. Opiniâtre, il transmet aussi à ses enfants les valeurs de cette époque bénie, afin qu'ils reprennent le flambeau et deviennent à leur tour de Jeunes Routards.
La morale du Routard (le guide, comme l'homme) est simple : un bon voyage est un voyage groupé. Une bonne auberge est une auberge pleine de back-packers. Si dès l'arrivée, on ne partage pas son intimité, son pot de mayo et ses meilleurs épisodes de Bob L'Eponge avec Bruno et son tatouage "loup" (version hypster du tatouage Johnny), le trip est loupé. Et mauvais.
2. Donnez moi un chef
D'ailleurs, avec son tatouage loup, c'est son chef de meute que Bruno réclame. Pas de panique, page 236, Le Routard va le lui fournir sous la forme de "Christophe de Nice". Christophe de Nice a quitté le Sud de la France pour s'installer à l'étranger et ouvrir son auberge de jeunesse. A ses visiteurs ébaubis d'admiration, il propose des ateliers incroyablement authentiques : du djembé en Afrique, des cours d'arts martiaux en Asie, et des leçons de façonnage de tortillas en Amérique du Sud. Il s'habille en blanc, porte des dreadlocks, utilise "Man" en ponctuation, et a un air de famille avec Bernard Lavilliers. Le Routard le trouve éminemment sympathique et vous recommande chaudement sa compagnie sans JAMAIS se demander ce qui a pu pousser un quadragénaire à fuir son pays d'origine pour se déguiser en grotesque teenager.
Au contraire, sur présentation du guide Routard, vous obtiendrez un kir de bienvenue à la Marc Dutroux Guest House.
3. La bourse, c'est la vie
Vous voilà donc réunis au coin du feu avec ce que la France offre de meilleur et prêts à vivre la partie la plus intéressante du voyage : être comme chez vous, mais ailleurs.
"Pourquoi aller à l'étranger pour recréer chez soi ailleurs?" demandent ceux du fond qui n'ont pas suivi. Mais parce que c'est moins cher, pardi ! La bière, les chips, la vie, la vraie... tout est donné ! Et le Routard vous donne même quelques tuyaux "solidaires" pour rentrer à la maison plus riche qu'en partant :
- Négocier le prix des chambres, surtout en saison creuse (les hôteliers gagnent moins d'argent => ils ont la dalle => ils n'ont d'autres choix que d'accepter de négocier => CQFD)
- Ne pas donner d'argent aux enfants ou aux mendiants afin d'éviter qu'"ils prennent de mauvaises habitudes"
- Se balader en arborant le Routard bien haut au dessus de sa tête pour ramasser la plus grande quantité possible des fameux "kirs du patron".
4. Voir Grüük et mourir
En respectant bien le credo Routard, lorsque vous rentrerez chez vous, vous pourrez raconter que vous avez "rencontré plein de gens pour pas cher" et que c'était "vraiment cool". Mais si l'on vous oppose que vos nouveaux camarades habitent Fribourg, vous pourrez rétorquer que vous avez EGALEMENT compris votre pays d'accueil et ceux qui y vivent. Voici comment :
"A l'écart des circuits classiques, vous n'aurez rien vu si vous ne visitez pas Grüük". Page 64, Le Routard, avec un mélange savant de condescendance et de perversité, a appuyé sur votre corde sensible. Ce qu'il vous promet si vous l'écoutez, c'est de vous distinguer des ânes bâtés qui écrasent les mêmes pistes balisées depuis des décennies. C'est d'abandonner les oripeaux du Touriste, pour devenir le Golden Routard, voire le Local (modèle Christophe de Nice).
Vous pensez à la gloire de l'explorateur, à Nicolas Bouvier, à la vaillance : vous quittez pour 24h l'auberge de jeunesse. Après 6 heures de bus, et 3 de marche, vous arrivez enfin à Grüük. Les pieds gercés. Grüük... sa cité industrielle enclavée dans une vallée, son bar tabac et son supermarché, ses habitants chatoyants frappés de crétinisme alpin (because les essais nucléaires effectués dans la zone), qui ne réfrènent leur hostilité à votre égard que pour vous tripoter les cheveux (si vous les avez roux).
En vous baladant dans la rue, vous voyez poindre derrière les persiennes des yeux chafouins et le bout du canon d'un fusil d'assaut.
Vous passez à Grüük des heures vaguement dangereuses et d'un ennui mortel, mais vous revenez avec la ferme et tendre conviction d'avoir connu le pays de l'intérieur. Pour le sight seeing, vous acheterez des cartes postales.
En attendant, vous pouvez retourner tranquillement boire votre Coca (50% de réduction) avec Bruno et Christophe, au Relais du Routard.