Il y a des endroits pour lesquels on traverserait Paris en courant, même sous la neige et en tongs.
Il y a par exemple le vendeur de poulets rôtis rue des Abbesses.
Il y a aussi Music Masti, trônant rue Jarry, entre un chapelet d’hôtels de passe aux entrées crasseuses et obscures.
Une petite boutique de contrebande de films Bollywood et de musiques indiennes, où un néon cru inonde les couleurs des pochettes, photo-montages déplorables, impressions jet d’encre, découpages hasardeux, collés du sol au plafond.
Un lieu à part où l’on ne parle qu’hindoustani ou langue des signes, et où il faut s’inventer des dons de mime pour faire comprendre son désir d’acheter des films sous-titrés en français.
Sous-titrés en français.
Quelle drôle d’idée.
On ne pouvait pas savoir.
Dans chaque film, les traductions sont un free style absolu, une exubérance totale, la bonne blague d’un type qui voulait la peau de Bernard Pivot.
Ca commence dès la première minute par des constructions de phrases absurdes: «L aimer prenait le bus»
Ca se poursuit par des erreurs de mots : «elle souffert d’un grand recul»
Et ça continue encore et encore.
Tout de suite, la situation t’emporte. Alternativement, tu hurles des «Quoiiiiiii?????» quand les sous-titres font très clairement barrage à la compréhension de l’intrigue, ou tu pleures de rire quand des mots tragiquement incohérents (douille, empaquettage) viennent se glisser dans des scènes supposées tragiques. Quelques autres fois, tu restes seul parce que les traducteurs sont partis manger une gaufre et t’abandonnent à la VO quelques minutes.
En réalité, avec ces fantaisies de langue, ces surprises stylistiques, ce rythme d’incompréhension et d’improvisation frénétique, chaque Bollywood se transforme en happening génial qui retient ton corps et ton coeur en entier : tu pleures, suffoques et te convulses de rire, tu demandes de l’aide à ton amoureux, ton pied bat pendant les chansons, tu réinventes un sens à tout.
Le spectacle est en face.
Et un peu de ton côté, aussi.
Music Masti
10, rue Jarry
Paris 18eme
Metro Château d’Eau
Entre 1 et 5 euros le DVD
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