Tu es une fille et tu as presque mon âge (25 ans, pour ceux du fond). Quand tu avais 14 ans, tu lisais 20 ans, magazine aujourd’hui regretté et disparu.
Précision pour le lecteur mâle : les magazines pré-pubères ou juste-nubiles ont toujours eu un lectorat beaucoup plus jeune que celui auquel ils prétendaient officiellement s’adresser.
Par exemple, il y avait de mon jeune temps un autre magazine nommé Girls. Il n’était lu que par des filles de 12 ans. Pourtant la rédaction s’attachait à prétendre que son public était fait de demoiselles plus matures, n’hésitant pas pour cela à inonder le courrier des lectrices de fausses missives, où des filles soi-disant âgées de 16 ans demandaient «le préservatif, est ce que ça marche aussi si je le mets sur ma langue?».
Tout ça pour dire, qu’à 14 ans, on lisait toutes 20 ans. Et qu’il n’y a pas de quoi s’étonner.
Bref, dans 20 ans, chaque mois, une page était écrite par un dénommé Diastème. Une chronique. Un truc dans mon souvenir drôle et «trôôôôp bizarre genre tu vois hi hi hi» (j’avais 14 ans, c’est comme ça).
La dernière fois, à la bibliothèque municipale, je tombe sur un ouvrage de lui. La quatrième de couverture me fait éclater de rire dans les rayonnages plus silencieux qu’un cloître (j’étais en RTT, la soirée de la veille m’avait tué quelques neurones). Illico, le bouquin rejoint la pile des empruntés. Il s’appelle Un peu d’amour. Et il recense les 7 ans de chroniques que Diastème a écrites pour 20 ans.
En le lisant aujourd’hui, je suis sûre qu’à l’époque je ne comprenais rien de ce qu'il écrivait. Et je réalise que sa présence dans ce magazine était d’une absurdité totale. Il racontait vraiment n’importe quoi. Toujours avec une intelligence et une dérision folle. Et un style incomparable. Mais vraiment n’importe quoi.
Diastème était un accident. Il devait y avoir chez 20 ans une rédactrice en chef qui voulait montrer aux adolescentes ce qu’était la grâce littéraire et qui l’avait élu comme héraut des plumes sans raison. Pour donner l’exemple. Et créer la vocation.
Pendant 7 ans, Diastème a parlé de ses amis, de ses testicules, de son Solex, de Mike Tyson, des cigarettes, des coups de boule, de l’ivresse et de ses gueules de bois. Parfois, il a semblé malheureux et acide. Les mots "mon amoureuse", il a un jour cessé définitivement de les écrire. Sans affection visible, il a continué, piquant, drôle, sauveur de face, fauteur de pirouettes. De plus en plus rageur mais toujours aussi leste.
«L’humour est la politesse du désespoir» est un mot de Desproges. On dirait que c’est un mot pour Diastème.
S’il me fallait vous donner un ordre, c’est celui de vous procurer ce livre au plus vite.
Et que ça saute.
PS : En passant et en cherchant une image pour illustrer cet article, je suis tombée sur un site d’orthodontie canine et féline. C’est à dire un site pour les humains qui mettent des appareils dentaires à leur chien. Tout simplement. Amis des sensations fortes et de l’insondable bêtise humaine, c’est par là !
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