Si vous vous souvenez bien, Pierre Palmade avait, dans sa jeunesse, commis un sketch qui n'était pas si mal.
D'accord, avancer avec ce genre de références n'augure rien de bon. Un Guy Debord aurait été de meilleur aloi pour soutenir le thème qui va suivre. Qu'importe.
Pierre Palmade donc, fut un jour l'auteur d'une réplique phare : "tu préfères avoir des dents en bois ou une jambe en mousse?".
Un choix mortel pour lequel on préférerait ne jamais prendre parti, si l'amateur de rock parisien ne s'y trouvait sans cesse confronté à travers l'équivalent suivant : "tu préfères aller voir un concert au Nouveau Casino ou au Scopitone?".
Car avoir le choix entre l'une ou l'autre de ces salles est aujourd'hui l'alternative la plus cauchemardesque et improbable qui soit.
Le Nouveau Casino existe depuis longtemps déjà. Confrontée à l'usure et la crise, la salle a du naturellement s'interroger sur le moyen de recruter et fidéliser sa clientèle. En offrant par exemple des pass "entrées et consommations gratuites" à des dilettantes d'ordinaire plus fervents de Club Med Gym que de rock indie.
A chaque concert, on retrouve donc, comme devant la salle de step ou la machine à développer les abducteurs, une horde de désoeuvrés qui assistent au spectacle en racontant leur vie, avec emphase et bonne humeur. Parfois, entre deux anecdotes, ils s'impatientent du volume sonore qui émane des enceintes, parce que "vraiment on ne s'entend pas parler".
Et c'est vrai que le Nouveau Casino envoie du son. Une acoustique crasse, toute de saturations de basse et de grésillements délétères, où il est presque impossible de distinguer la moindre ligne mélodique des musiciens sur scène. Les geeks de Passion Pit s'agitent sur leurs consoles, The Big Pink font saillir leurs muscles et leurs cheveux gras... peu importe, à l'issue du concert, toute la salle sortira à moitié sourde. Seuls quelques énergumènes, les conduits auriculaires obstrués par douze boules Quies ou la tête couverte d'un casque anti-bruit, hurleront à ceux qui peuvent encore les entendre : "Je trouve que le son était pas mal !".
Après tout, de quoi se plaint-on ? Au sortir du Nouveau Casino, on a vu et on s'est fait voir. Ce qui n'aurait pas été possible au Scopitone.
Le Scopitone : sous les bérets, la scène ? © BountyLegers
Le Scopitone :
Certes, le Scopitone est précédé par un vent de hype hors du commun. Ancien Paris Paris, repris par une partie du team de la Blogothèque et d'Elegangz, le lieu jurait de ressusciter le Paris rock en réunissant les groupes les plus prometteurs. Et effectivement, ils sont là : The Antlers, Johnny Flynn, Mustang... Le problème, c'est que personne ne les voit. Car Le Scopitone, c'est comme mon salon, si j'y calais 300 personnes debout en passant du son sur mon Ipod. 300 crânes unanimement tournés vers une hypothétique scène encastrée dans un coin, en contrebas du public. Contrebas ingénieux qui rend le groupe invisible et ménage alors des moments d'extases rares : il suffit qu'on devine, sur la pointe des pieds, un cheveu du bassiste pour frémir et atteindre le nirvana.
Finalement, la vérité est ailleurs: le généreux Scopitone nous invite à remettre en question nos valeurs. Nous débarrasser de présupposés conservateurs qui tendraient à nous faire croire que la dimension scénique et visuelle d'un concert est primordiale. Jeter nos clichés pour vivre une nouvelle expérience, plus emphatique et extrême : se mettre deux heures, deux heures seulement, dans la peau d'un aveugle prisonnier d'une rame de métro bondée.
Pour contrer ces lieux improbables qui ont tout de la légende urbaine, il ne me reste plus qu'à en invoquer une autre : Si vous envoyez cette note à dix de vos amis, ces deux salles auront peut être une chance de fermer leur porte ou revoir leur agencement. Si vous ne le faites pas, vous mourrez très prochainement dans d'atroces souffrances faites d'acouphènes ou d'étouffements. Kikou. Merki. LOL.