Dans l’exposition Cellar Door de Loris Gréaud dont tout le monde parle en ce moment, il y a deux modes : un on et un off. Le mode off, de 20h à 00h, présente la même exposition qu’en journée à une différence près : on ne voit rien. Il fait très noir et toutes les projections vidéos sont éteintes. Impossible de savoir si c’est là le vœu comique de l’artiste ou une mesure citoyenne d’économie d’énergie. Quelle que soit l’intentionnalité, l’issue est la même : rien n’est visible, et l’on s’ennuie un peu.
Il demeure pourtant quelque chose de fantastique : les vigiles font partie de l’œuvre. Loin d’être préoccupés par la sécurité et la régulation du musée, ils vouent toute leur énergie à empêcher fermement les visiteurs de regarder l’installation qu’ils visitent.
Ainsi, le même homme de main qui m’a interdit militairement de modifier l’éclairage d’une fiche de présentation, nous a laissé pénétrer sans aucune vérification dans une salle du musée abritant un concert complet pour lequel une foule modeuse se battait à l’entrée du Palais.
Après enquête dans le sein des saints, nous avons appris qu’allait se produire là… Dirty Pretty Things.
Décryptage pour le profane. Il était une fois les Libertines, une révolution rock british menée par Pete Doherty et Carl Barât, musiciens fusionnels à l’énergie et au talent rares. A peine formé, porté aux nues, le groupe se sépare dans un lot de drames où se mêlent héroïne, violences et mythologie des frères ennemis. Pete Doherty fonde alors les BabyShambles, Carl Barât créé Dirty Pretty Things. L’un déchaîne les foules et devient l’icône rimbaldienne d’une génération avide de rock et de poésie, l’autre se mue en persistance rétinienne, le fantôme des défunts Libertines.
Je n’ai jamais eu la chance de voir les Libertines en concert, et ne connais d’eux que leur CD éponyme passé 1000 fois à m’en faire sauter les tympans.
En revanche, j’ai connu la suite. Babyshambles à l’Elysée Montmartre : toute la troupe (Kate Moss en première ligne) défoncée au dernier degré, le public hystérique lançant soutiens-gorges, bouquins et sacs à mains sur scène. Et Pete Doherty, échouant à déchirer le drapeau anglais, à la fois lamentable et royal, prêtait son charisme désinvolte à un Fuck Forever incandescent.
De l’autre côté, Carl Barât balade ses Dirty Pretty Things sur les scènes fashion du monde entier, traînant derrière lui la frange du public des Libertines qui a mal supporté la séparation de ses fétiches. Barât porte sur son visage l’injustice, l’ivresse non inspirée, et la douleur aigre d’un homme un jour comblé que la grâce a soudain abandonné. Sorte de redite du Jack la Motta vieilli de Raging Bull, Barât est l’image rock du héros triste et déchu que l’on regarde doucement flancher en souvenir du grand homme qu’il a un jour été.
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